
Loi Omnibus : La « simplification » des principales réglementations européennes de reporting de durabilité
Publiée le 06.03.2025
Une réforme sous couvert de simplification
Le paquet "omnibus" regroupe plusieurs modifications de textes existants en une seule proposition, avec pour objectif de simplifier, harmoniser ou adapter le cadre réglementaire. Officiellement, ce projet vise à assurer une meilleure cohérence entre les initiatives législatives et à réduire les charges administratives pour les entreprises.
Il s’inscrit aussi dans un contexte d’inquiétude accrue quant à la compétitivité internationale accrue, impulsé par le rapport Draghi et illustré par la déréglementation massive des marchés financiers aux États-Unis. En France, le projet de loi sur la simplification de la vie économique et les prises de parole du président M. Macron, reflètent une dynamique similaire.
Le projet de loi omnibus doit encore passer par plusieurs étapes législatives, notamment l'examen par le Parlement européen et le Conseil de l'UE. Mais dans un Parlement européen où des coalitions plus favorables à la dérégulation gagnent du terrain, la réouverture de ces textes pourrait entraîner une régression significative des normes environnementales et sociales. Une perspective jugée « gravissime » par Alexandre Rambaud, co-directeur de la chaire de comptabilité écologique à AgroParisTech.

La CSRD est une pierre importante de l'édifice de l'harmonisation de la donnée extra financière en Europe : elle permet de parler la même langue dans 27 Etats, celle de la durabilité, en facilitant la mesure et le pilotage de ses externalités et de ses impacts. Dans le contexte actuel, à cinq ans à peine des échéances de 2030, un report de calendrier ou un retour en arrière serait catastrophique.
Le secteur de la finance solidaire ne serait pas épargné
Le projet omnibus inquiète de nombreux acteurs, qui redoutent un démantèlement des avancées récentes en matière de finance durable. Parmi les mesures envisagées :
- Une réduction du champ d'application de la CSRD, excluant jusqu'à 80% des entreprises initialement concernées, principalement les ETI et PME.
- Un report voire une suppression d'obligations de diligence raisonnable (CS3D). Il faut rappeler que la diligence raisonnable permet la gestion des risques et aide les entreprises à lutter contre leurs impacts sur l’environnement et les droits humains et à exercer leurs activités de façon responsable. Celle-ci pourrait être limitée aux fournisseurs directs, avec une exemption pour les entreprises de moins de 500 employés.
- Une taxonomie verte facultative pour les PME, avec une révision de la part des investissements durables dans les banques.
- Un allègement du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM), exemptant 90% des importateurs, majoritairement des PME.
Pour quelles conséquences ?
La réduction du champ d'application de la CSRD, la suppression des normes sectorielles et la diminution du nombre de données à reporter suggèrent un affaiblissement du principe de double matérialité, car moins d'entreprises seraient tenues de réaliser une analyse des conséquences de leurs actions sur l’environnement dans lequel elles s’inscrivent.
Qu’est-ce que la double matérialité ?
C'est une norme clé de la directive européenne CSRD. En associant la matérialité financière et la matérialité de l'impact, elle permet aux entreprises de saisir non seulement l'effet des enjeux environnementaux et sociaux sur leur performance économique, mais aussi l'impact de leurs activités sur l'environnement et la société.
Ces modifications entraineront une incertitude juridique, ce qui nuira à l'investissement et à la compétitivité économique si l’on adopte une perspective long terme. « Il ne peut pas y avoir de progrès sans contraintes », rappelait Fabrice Bonnifet – président de C3D, - association de directeurs développement durable et RSE- lors d'une conférence organisée par Fidurable à l'Académie du Climat le 13 février dernier.
Les acteurs de la finance durable se mobilisent
FAIR et plusieurs organisations de la finance durable, dont Eurosif, IIGCC et PRI, ont co-signé une déclaration appelant à préserver l'intégrité du cadre européen de finance durable. Ces acteurs, représentant 6,6 trillions d'euros d'actifs sous gestion, soulignent que la suppression des normes sectorielles de la CSRD entraînerait une perte d'informations essentielles pour orienter les financements vers une transition juste. Dans le cadre de la coalition #FuturCSRD, Impact France a rassemblé 12 réseaux d'entreprises et de financiers français, dont FAIR, pour insister sur l'importance de maintenir les objectifs de la directive CSRD tout en adaptant le cadre législatif aux réalités du terrain.
Laurence Scialom – professeure et chercheuse au laboratoire Economix- avertit également sur les risques d'une « perte de soft power européen » si l'Union cède à une logique de dérégulation. "Une finance durable est une finance qui conserve la double matérialité », affirme-t-elle. Malo Bourel -responsable plaidoyer Europe chez Mouvement Impact France - insiste de son côté sur l'importance de faire de l'engagement européen un levier de compétitivité plutôt qu'un frein.
De nombreux acteurs financiers sont demandeurs de stabilité réglementaire et d'une vision stratégique à long terme. Défaire le cadre actuel ne ferait qu'ajouter de l'instabilité et empêcherait les investissements de long terme.
Pour une compétitivité au service du bien commun
Au-delà des arbitrages techniques, la proposition Omnibus soulève une question fondamentale : quelle économie voulons-nous ? Loin d’être un simple outil de production et de compétitivité, l’économie ne devrait-elle pas avant tout être remise au service de l’humain et du vivant ? Comme l’a souligné Fabrice Bonnifet lors de la conférence Fidurable : « La question ne devrait pas être la compétitivité, mais la dignité. » Une finance durable ne se réduit pas à des ajustements réglementaires ; elle porte une vision de long terme, qui dépasse les seuls intérêts immédiats. C’est dans cette capacité à concilier ambition environnementale et justice sociale que réside la véritable force du modèle européen.
Adapter les réglementations pour permettre à toutes les entreprises, y compris les plus petites, de les appliquer sans que les coûts les mettent en difficulté est une nécessité. Mais cet ajustement ne doit pas conduire à une mise en danger des exigences de durabilité. Plutôt que d’édulcorer les engagements pris, l’Europe pourrait choisir d’en faire un levier de différenciation et d’influence. La compétitivité d’un modèle ne se mesure pas uniquement à sa souplesse réglementaire, mais également à sa capacité à répondre aux défis de son époque.
Dates clés et prochaines étapes
Le projet omnibus entrera dans une phase d'examen au Parlement européen et au Conseil de l'UE d'ici juillet 2025.
Plusieurs leviers d'action sont encore possibles :
- Interpeller des décideurs politiques : Sensibiliser les députés européens et les ministères concernés sur les risques que fait peser l'omnibus sur la finance durable.
- Participer aux consultations publiques : La Commission européenne mettra prochainement en consultation les révisions des règlements sur la CSRD, la CS3D et la taxonomie verte.
- Soutenir les entreprises engagées : Valoriser les PME et les entreprises de l'économie sociale et solidaire qui intègrent déjà les standards de reporting extra-financier.
